Le salaire de la peur

Après avoir voyagé en taxi et à tombeau ouvert jusqu’à Carillo, nous avons tous pris la décision de rentrer à Cartagena avec le bus. Le trajet est plus long, mais plus reposant pour les nerfs. Il est vrai que rouler sur une route à double sens à près de 140 km/h n’a rien de vraiment rassurant pour tout être conscient qui tient un peu à la vie.

Alors, dans une nonchalance toute caraïbe, nous nous sommes rendus dans la ville voisine.

Les membres de l’expédition étaient : mes parents, mon épouse, ma fille, ma belle-mère, la tante de mon épouse et ses deux enfants ainsi que Beatrice, une amie Genevoise.

A la gare routière de Lorica, avec une confiance toute naïve, nous sommes allés chercher des billets de bus pour Cartagena. Ô drame, ô désespoir ! Tous les bus se sont avérés complets. Il est vrai que c’était semaine sainte, nous aurions du y penser. Mais dans l’ambiance et la chaleur, il faut bien avouer que ce genre de détail nous a complètement passé par-dessus la tête.

Dans un espoir insensé, nous nous sommes dits qu’avec un peu de chance nous trouverions 7 places dans le prochain bus. Qui sait, une famille de 7 personnes a peut-être décidé de ne pas partir.

Bien innocents, les braves. Rien que des bus archibondés ont fait halte pour déposer quelques colis et abreuver les passagers.

A ce stade, il ne nous restait plus grand-chose si ce n’est avoir recours à la capacité de mon épouse de toujours aller chercher le possible dans l’impossible. Et elle trouva. Un bus interurbain dont le chauffeur voulait bien transporter notre tribu à Cartagena ainsi que bon nombre de voyageurs aussi prévoyants que nous.

Nous nous sommes donc répartis dans le véhicule. Après de longues minutes au soleil, l’engin s’est ébranlé, l’aide chauffeur suspendu d’une main à la porte avant racolait les clients potentiels en criant : « Cartagena, Cartagena, Cartagena ». Une fois le bus plein, le chauffeur donna des gaz.

C’est à la sortie de la ville que le drame s’est joué. Pour aller de Lorica à Cartagena, il y a deux routes possibles: par la côte ou par l’intérieur des terres. La majorité des bus passe par la côte car la route est bien sécurisée avec des barrages de police et des militaires. Mais là, notre chauffeur, qui, en fait, n’avait pas vraiment le droit de nous conduire jusqu’à Cartagena sans sauf-conduit, a décidé de passer par l’intérieur des terres afin d’éviter les barrages de police et ainsi éviter les amendes. Au moment de sa décision, mon épouse invectiva le chauffeur en lui demandant de ne pas se mettre dans une situation qui pourrait être regrettable. A ses mots il rétorqua qu’il savait se qu’il faisait.

Un lourd silence gagna le bus.

Mes parents, ne comprenant pas l’espagnol, ne se rendait pas compte de la situation. Avec leur appareil photo, ils étaient heureux de pouvoir vivre la vraie vie du Colombien moyen. C’était même amusant de voir mes parents à la peau si blanche prendre des photos de scène de la vie quotidienne de la campagne, sous les yeux étonnés des visages aux teints mats.

Pendant 1 heure, le bus a fait son chemin. L’animation y est même revenue. Les gens parlaient fort en essayant de couvrir le bruit du moteur. Soudain, le bus a ralenti, s’est arrêté puis a lentement redémarré pour s’arrêter quelque mètres plus loin. A nouveau, l’atmosphère devint orageuse, le silence fait partie du voyage. Je ne me souviens pas si le mot est sorti de la bouche d’un passager, mais une chose est sûre, nous y pensions tous  : « la guerilla ». J’étais complètement paniqué, je voulais cacher la tignasse blanche de ma mère qui était 4 rangées devant la mienne. En fait je me suis senti à ce moment comme pris au piège. Un homme vêtu de kaki est monté à bord et là, j’ai senti le soulagement de l’ensemble du véhicule. Ce n’était que la police de la route. La tension est redescendue. Le bus est reparti et les passagers on recommencé à parler. Quelques minutes plus tard, c’est le coq, également passager de notre intrépide véhicule, qui coupa les conversations en s’échappent de la cage de fortune que lui avait confectionné sont maître. Là, ce sont des cris et des rires qui ont animé toute la cargaison et ainsi ramené l’ambiance à un degré plus agréable.

Le bus a passé plusieurs barrages de police avant d’arriver à Cartagena après le coucher du soleil. J’ai probablement vécu une des plus grandes peurs de ma vie . Mais au final, je suis content de l’avoir vécu car c’est aussi comme-ça que l’ont peut comprendre la Colombie et la vie des colombiens.

Annonce d’un miracle

Nous sommes en 2001. Mon voyage en Amérique latine prend doucement des saveurs de fin. Voilà près de 6 mois que je suis parti et sur mon billet d’avion direction retour est inscrit la date limite que je ressens chaque jour plus fort comme une provocation. On prend goût à ne penser qu’à dormir et manger.

Le deuxième soir dans cette ville coloniale, une jolie jeune femme m’aborde. Elle est désireuse de me connaître, de me faire connaître sa ville. Elle me guide les jours suivants, me faisant découvrir les différentes facettes de sa terre.

Un jour, elle me propose d’aller voir un volcan. Nous prenons donc un bus coloré, sans âge en direction de « El volcan del Totumo ». Le bus nous laisse sur la route de Baranquilla dans le village de « Lomita ». C’est ici que s’arrêtent les voyageurs pour se sustenter. La route est bordée de dizaines d’échoppes proposant boissons et encas.

Après une bonne marche sous le soleil, nous, ma guide et moi-même, arrivons au pied du volcan. A ma grande surprise, le cratère du volcan est rempli de boue dans laquelle on peut se glisser et se faire masser. Divine récompense !

A force de profiter des plaisirs simples, le temps, capricieux, s’accélère. Il nous faut repartir rapidement pour pouvoir prendre le dernier bus. A trois sur une moto, nous arrivons à Lomita. Personne n’attend le bus. Il est déjà parti. Nous voilà dans de beaux draps. Sans moyen de transport, perdu dans un petit village.

Après une petite heure, nous observons les prémices d’un miracle. Comme le bourdonnement précurseur de la foudre. En effet, un petit attroupement se forme près de nous. Il s’avère qu’un camion va passer et qu’il pourrait nous embarquer au même titre que la petite troupe de vendeurs.

Le miracle ne s’est pas fait attendre bien longtemps. Un camion à pont plat s’arrête et embarque sur son pont la petite cohorte. Ma mignonne guide demande si nous pouvons profiter du voyage. Le chauffeur nous propose alors de monter à bord de sa cabine. Le camion démarre et le voyage de retour commence. Après quelques kilomètres, le véhicule s’arrête et décharge une partie de sa cargaison humaine. Les passagers débarqués s’approchent de la fenêtre du chauffeur et lui donnent quelques sous en échange du déplacement. Le camion redémarre pour s’arrêter plus loin afin de laisser descendre d’autres habitants de cette campagne sauvage. A chaque fois, les voyageurs rendus disparaissent par un petit chemin dans les cultures. A mes yeux d’européen, le spectacle est fascinant.

Lors d’une des nombreuses haltes de notre taxi de fortune, au moment de payer, un homme tend 3 boules de pain. D’un regard triste, il explique au chauffeur qu’il n’a rien vendu et de ce fait, il n’a pas d’argent. Il propose donc de payer en nature. Le chauffeur accepte d’un hochement de la tête et redémarre. Je suis ébahi par le spectacle et me tourne vers ma pilote comme pour y rechercher un repère. C’est alors que je croise ses yeux embués de douces larmes. Ma surprise est encore plus grande. Cette jeune femme pleure de la simplicité et la bonté du geste de ce chauffeur. Elle pleure de la beauté que parfois la misère est capable de révéler.

Mon esprit est au bord de la saturation quand soudain, comme une lumière dans l’obscurité absolue, je viens de comprendre: le camion n’était pas le miracle attendu, mais son support! Le miracle, ou la révélation, c’est que je venais de trouver la mère de mes enfants. Dans ce vieux camion tout craquant, chargé de sa misère, la bonté a su me révéler notre destin.

La fin du retour, je l’ai vécue comme si le camion roulait sur un doux nuage. Il n’y avait plus de bruit, plus d’odeurs, mais seulement cette femme que je connaissais à peine. En un éclair, j’ai compris comme une évidence: elle sera mon épouse. La beauté de son cœur a éclairé mon esprit.

Cartagena de Indias

Cette ville colombienne des Caraïbes ne peut que marquer le visiteur. C’est une ville qui doit s’écrire au pluriel.
Il y a la Cartagena historique avec ses magnifiques maisons coloniales superbement restaurées et entretenues pour la plupart. Une ville historique qui se protège des autres parties de la ville, plus récentes, derrière ses murailles. Ici, le temps a le pouvoir de savoir s’arrêter. On arrive à ne plus savoir dans quel siècle nous nous trouvons. Assis sur les murailles, on croirait voir les bateaux du pirate Francis Drake. Au coin de la Calle de la Moneda, le cireur de souliers nous fait tomber au début du 20ème siècle alors que le reggaetton tonitruant sortant des boutiques de vêtements nous rappelle que nous sommes au 21ème siècle.

Une fois passé sous la Torre del Reloj, nous sommes hors des murs et les taxis quémandent la course. C’est alors le moment d’aller à la rencontre de la Cartagena touristique et chic. C’est en direction de Bocagrande où Castillogrande que l’on rencontre les riches grattes-ciel de la Miami colombienne. Ici, la nuit sonne comme fêtes, lumières et argent. Les lourds 4×4 foisonnent et les touristes se montrent. On peut deviner l’âge des tours à leurs couleurs. Cette année, ce sont des édifices blancs à vitres teintées vertes qui sont à la mode.

Le long de l’avenue San Martins, arrêtons le bus. Un de ces bus multicolores où l’itinéraire est écrit en lettres artistiques sur l’avant du véhicule. A l’intérieur, la musique et les lumières nous font croire à une disco-mobile. Ce bus nous emmène en dehors de la Cartagena connue des touristes. Il nous emmène où vivent les gens. Cette ville faite d’urbanisation organisée par classes sociales. Ce sont une multitude de pavillons hétéroclites de toutes les couleurs, à l’architecture forcément différente à celle du voisin. Ils sont alignés dans un désordre ambiant de vendeurs ambulants, de terrasses sauvages et de bus qui s’arrêtent où bon leur semble. Ce sont aussi des essaims de mototaxis. Ici, le plus grand, le plus lourd est le roi. Les règles usuelles de la circulation routière ne sont pas appliquées.

 

Les vendredis et samedis soir, la ville se transforme en une immense fête. Les amis, la famille, les voisins se retrouvent à boire, manger et écouter de la musique sur la terrasse. C’est à qui a le plus grand système audio. Pour l’indigène, le plus important est le contact humain. A Cartagena, il est fort possible que vous vous retrouviez sur la terrasse du cousin de la femme d’un ami, à partager vos idées avec d’autres amis du copain de la sœur tout en sirotant un aguardiente et en mangeant le gâteau d’anniversaire de la petite dernière.

Cette ville est colorée comme le sont ses habitants, noir, métis ou blanc. Ici ce côtoient dans la même désorganisation et avec le même goût de la fête le petit vendeur d’eau avec le riche propriétaire terrien.

Vous l’aurez compris, j’aime et déteste cette ville pour son désordre, sa joie de vivre, sa tragique pauvreté et ses superbes femmes.