Nous sommes en 2001. Mon voyage en Amérique latine prend doucement des saveurs de fin. Voilà près de 6 mois que je suis parti et sur mon billet d’avion direction retour est inscrit la date limite que je ressens chaque jour plus fort comme une provocation. On prend goût à ne penser qu’à dormir et manger.
Le deuxième soir dans cette ville coloniale, une jolie jeune femme m’aborde. Elle est désireuse de me connaître, de me faire connaître sa ville. Elle me guide les jours suivants, me faisant découvrir les différentes facettes de sa terre.
Un jour, elle me propose d’aller voir un volcan. Nous prenons donc un bus coloré, sans âge en direction de « El volcan del Totumo ». Le bus nous laisse sur la route de Baranquilla dans le village de « Lomita ». C’est ici que s’arrêtent les voyageurs pour se sustenter. La route est bordée de dizaines d’échoppes proposant boissons et encas.
Après une bonne marche sous le soleil, nous, ma guide et moi-même, arrivons au pied du volcan. A ma grande surprise, le cratère du volcan est rempli de boue dans laquelle on peut se glisser et se faire masser. Divine récompense !
A force de profiter des plaisirs simples, le temps, capricieux, s’accélère. Il nous faut repartir rapidement pour pouvoir prendre le dernier bus. A trois sur une moto, nous arrivons à Lomita. Personne n’attend le bus. Il est déjà parti. Nous voilà dans de beaux draps. Sans moyen de transport, perdu dans un petit village.
Après une petite heure, nous observons les prémices d’un miracle. Comme le bourdonnement précurseur de la foudre. En effet, un petit attroupement se forme près de nous. Il s’avère qu’un camion va passer et qu’il pourrait nous embarquer au même titre que la petite troupe de vendeurs.
Le miracle ne s’est pas fait attendre bien longtemps. Un camion à pont plat s’arrête et embarque sur son pont la petite cohorte. Ma mignonne guide demande si nous pouvons profiter du voyage. Le chauffeur nous propose alors de monter à bord de sa cabine. Le camion démarre et le voyage de retour commence. Après quelques kilomètres, le véhicule s’arrête et décharge une partie de sa cargaison humaine. Les passagers débarqués s’approchent de la fenêtre du chauffeur et lui donnent quelques sous en échange du déplacement. Le camion redémarre pour s’arrêter plus loin afin de laisser descendre d’autres habitants de cette campagne sauvage. A chaque fois, les voyageurs rendus disparaissent par un petit chemin dans les cultures. A mes yeux d’européen, le spectacle est fascinant.
Lors d’une des nombreuses haltes de notre taxi de fortune, au moment de payer, un homme tend 3 boules de pain. D’un regard triste, il explique au chauffeur qu’il n’a rien vendu et de ce fait, il n’a pas d’argent. Il propose donc de payer en nature. Le chauffeur accepte d’un hochement de la tête et redémarre. Je suis ébahi par le spectacle et me tourne vers ma pilote comme pour y rechercher un repère. C’est alors que je croise ses yeux embués de douces larmes. Ma surprise est encore plus grande. Cette jeune femme pleure de la simplicité et la bonté du geste de ce chauffeur. Elle pleure de la beauté que parfois la misère est capable de révéler.
Mon esprit est au bord de la saturation quand soudain, comme une lumière dans l’obscurité absolue, je viens de comprendre: le camion n’était pas le miracle attendu, mais son support! Le miracle, ou la révélation, c’est que je venais de trouver la mère de mes enfants. Dans ce vieux camion tout craquant, chargé de sa misère, la bonté a su me révéler notre destin.
La fin du retour, je l’ai vécue comme si le camion roulait sur un doux nuage. Il n’y avait plus de bruit, plus d’odeurs, mais seulement cette femme que je connaissais à peine. En un éclair, j’ai compris comme une évidence: elle sera mon épouse. La beauté de son cœur a éclairé mon esprit.